Critique | Il Boemo : à la découverte d’un compositeur injustement oublié ! (2024)

Il est toujours passionnant de découvrir un artiste inconnu jusque-là. Alors que Petr Vaclav, cinéaste tchèque né en 1967, a déjà quelques films à son actif, Il Boemo est celui qui le révèle aux cinéphiles. Le fait que ce long métrage s’intéresse à un musicien de génie tombé dans l’oubli (dans une sorte de mise en abîme) apporte indéniablement une plus-value à une œuvre formellement superbe.

Si l’aspect technique est formidablement exécuté (les éclairages notamment sont magnifiques, faisant penser à Barry Lyndon de Stanley Kubrick), il en est de même quant à l’écriture du scénario

Ce compositeur oublié, c’est Josef Myslivecek, dit Il Boemo («celui qui vient de la Bohême»). Fils d’un minotier praguois, il décide de devenir compositeur d’opéra et part pour l’Italie.Au bout de quatre ans de vie précaire, il est appelé à Naples pour écrire le premier opéra du règne de Ferdinand IV. Sa carrière s’envole. Pendant les années 1770, il est l’auteur le plus prolifique de l’opéra sérieux italien. Ami de Mozart et bien plus demandé que lui, il écrit pour les plus grandes vedettes de son temps, fréquente toutes les cours et de nombreux théâtres publics de la Péninsule. Lorsqu’il meurt à 43 ans de la syphilis, son œuvre tombe dans l’oubli.

Il existe de nombreux films sur la musique, parmi lesquels Amadeus de Milos Forman, autre cinéaste d’origine tchèque, qui apparaît comme une sorte de repère un peu écrasant. Mais Il Boemo, dans sa démarche (en ne choisissant pas un compositeur aussi reconnu) mais aussi dans son style (refusant notamment la surenchère et l’agitation), s’en écarte très rapidement pour proposer un film d’un classicisme sublime, dans lequel plane l’ombre de la mort, absolument pas académique (au sens négatif du terme) tant le travail sur les cadres, sur la profondeur de champ ou sur les visages des interprètes (utilisation du gros plan sur les chanteurs) est remarquable et assez étonnant. Si l’aspect technique est formidablement exécuté (les éclairages notamment sont magnifiques, faisant penser à Barry Lyndon de Stanley Kubrick), il en est de même quant à l’écriture du scénario: en effet, si ce qui nous est donné à voir à l’écran est la vie de Josef Myslivecek, son ascension et sa gloire, l’ensemble est plus complexe. Les premières scènes résonnent de manière funeste, montrant en réalité la fin du compositeur, le visage ravagé par la syphilis, avant que le film ne déroule dans un savant flash-back le passé récent de celui que le jeune Mozart admirait (ce qui donnera lieu à une scène géniale de rencontre entre les deux, sur la thématique de l’élève dépassant le maestro). Petr Vaclav en profite pour évoquer, au-delà même du XVIIIe siècle (essentiellement vénitien), la condition de l’artiste en quête perpétuelle de reconnaissance, souhaitant pouvoir vivre de sa passion, constamment tiraillé entre le pouvoir (les «clients» qui lui passent commande) et les rivalités multiples, à tous les niveaux. Des artistes dont la précarité est quasiment constante et dont le salut ne dépend que de la volonté des puissants. Le réalisateur nous convie ainsi à un voyage en Italie, dans les pas de Myslivecek et des commandes qu’il accepte pour Venise ou pour Naples. Il est passionnant de découvrir d’ailleurs ces rivalités entre les différentes cours des royaumes italiens, chacune cherchant à constituer un vivier d’artistes parmi les plus prestigieux afin de les faire travailler dans les théâtres existants ou en train de se faire. Un élément qui, finalement, est assez peu évoqué au cinéma. C’est ici qu’il convient de saluer le travail de reconstitution opéré par le metteur en scène. Dans un film historique, il est vrai que c’est un point essentiel. Vaclav convoque l’Italie du XVIIIe siècle, en particulier une Venise à la fois belle et décadente, libertine et sale, reflet de l’Europe des Lumières (on cite Diderot dans le film) mais aussi d’un monde dépravé où l’élite se rend à l’opéra moins pour y admirer le spectacle que pour y être vu, y manger sans retenue ou encore y pratiquer certaines activités derrière les rideaux.

Vaclav convoque l’Italie du XVIIIe siècle, en particulier une Venise à la fois belle et décadente, libertine et sale, reflet de l’Europe des Lumières (on cite Diderot dans le film) mais aussi d’un monde dépravé

A ce titre, Il Boemo séduit également par le portrait qu’il fait des femmes qui entourent le «maître de musique», et par l’évocation de la place qu’elles occupent dans la société du temps, fortement dominée par les rapports de pouvoir et de domination (masculine). C’est une noble courtisane vénitienne qui lui ouvre les portes de certains cercles fermés qu’il n’aurait jamais pu atteindre. C’est aussi grâce à la renommée de la célèbre cantatrice Catarina Gabrielli, qui joue dans l’opéra qu’il doit composer pour l’anniversaire du jeune roi de Naples Ferdinand IV, que Myslivecek connaît le succès. Il connaît alors de nombreuses liaisons amoureuses, dont celle intense avec la comtesse Anna Fracassati-Manciniani qui se terminera tragiquement (malmenée et violentée par son mari), ou celle avec une servante qui sera probablement à l’origine de la maladie mortelle qu’il finit par contracter. La femme, dont le rôle est donc majeur, reste pourtant cantonnée au statut d’épouse ou de prostituée. La Gabrielli est traitée comme telle, malgré tout son talent.

Ode à la musique, Il Boemo permet aux spectateurs non seulement de plonger dans les coulisses de la production musicale du XVIIIe siècle mais aussi de découvrir et donc de réhabiliter le travail de Myslivecek

Enfin, si ce film admirable mérite les éloges, c’est parce qu’il donne à entendre les œuvres de ce compositeur oublié. Plaisir incontestable pour les yeux, le film l’est aussi pour les oreilles. On découvre ainsi des compositions d’une grande beauté, d’une grande originalité (pour ne pas dire modernité). Ode à la musique, Il Boemo permet aux spectateurs non seulement de plonger dans les coulisses de la production musicale du XVIIIe siècle mais aussi de découvrir et donc de réhabiliter le travail de Myslivecek qui composa près de trente opéras, des dizaines de symphonies et deux oratorios. C’est l’un des mérites (et pas des moindres) de ce film somptueux et passionnant de bout en bout, porté par des interprètes inspirés et amené à devenir à coup sûr l’un des classiques du genre.

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RÉALISATEUR : Petr VaclavNATIONALITÉ : République tchèque, Italie, Slovaquie GENRE : Biopic historiqueAVEC : Vojtěch Dyk, Barbara Ronchi, Elena RadonicichDURÉE : 2h20DISTRIBUTEUR : Nour FilmsSORTIE LE 21 juin 2023
Critique | Il Boemo : à la découverte d’un compositeur injustement oublié ! (2024)

FAQs

Quelle maladie à il boemo ? ›

Il contracte une maladie vénérienne, probablement la syphilis, lors d'un voyage à Munich à l'invitation du duc Maximilen Ier. De retour à Rome, Josef Myslivecek meurt quatre ans plus tard, dans la souffrance et la précarité, en 1781, à 43 ans. Une mort à l'image de sa carrière : fulgurante et brutale.

Qui chante dans le film il boemo ? ›

Ainsi entendrons-nous Raffaella Milanesi, cantatrice aux mille visages, qui incarne ici dans une scène marquante du film, le castrat Marchesi, véritable star de l'époque. Elle chante en direct (au moment du tournage) les airs de Megacle de l'opéra L'Olimpiade de Myslivecek.

Où se joue il boemo ? ›

Côte-d'or. Côtes d'Armor. Creuse.

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Author: Patricia Veum II

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